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FATEMEH ELIZABETH PAKRAVAN

Ma mère est née en 1918 à Racht, capitale de la province Caspienne du Guilan au nord de l’Iran. Elle est morte en 2014 à Poissy, dans la banlieue ouest de Paris. Entre ces deux dates—quasiment un siècle—une vie hors du commun. Ses parents, déjà : un père iranien, Djavad Farifteh, originaire de Chiraz, la ville des poètes, des roses et du vin, et une mère moitié russe, moitié polonaise, Olga Brilewski, formaient un couple peu habituel. Djavad qui aimait l’Europe et particulièrement la France, voulait y élever ses deux filles et les y emmena, encore toutes petites. Pensionnaire à Saint-Honoré d’Eylau, le bac obtenu au lycée du boulevard Pereire, son diplôme de sage-femme à l’école de puériculture de Port-Royal, Fatemeh que l’on appelait également Elizabeth (du prénom donné par sa mère catholique) se retrouva française de cœur et de culture. Elève studieuse, passionnée d’histoire comme de littérature, elle rentra toutefois en Iran où à 21 ans, elle devenait directrice de l’hôpital Nadjmieh fondé par la mère du Dr. Mossadegh. Elle ne cessa plus jamais de travailler.
      Elle fréquente le salon littéraire d’Emineh Pakravan, écrivaine et historienne de mère franco-autrichienne et de père franco-iranien. Elle y rencontre le fils d’Emineh, Hassan Pakravan, un jeune officier élevé en Europe comme elle et francophone comme elle, et l’épouse en 1941. Elle continue sa vie professionnelle, occupant de prestigieuses positions et secondant son mari dans les siennes, tout en élevant ses quatre enfants. Après l’hôpital Nadjmieh, c’est un poste de direction à Iranian Airways, interrompu par un séjour en Europe lors des troubles de l’époque Mossadegh, puis au tourisme national qu’elle marqua de ses idées nouvelles pour l’époque et bientôt standardisées, comme de créer dans tout le pays des hôtels à prix modestes répondant à des normes d’accueil précises, ou lançant de grands projets tels la transformation de l’ancien caravansérail d’Ispahan en un hôtel international de grand luxe, le Chah Abbas et de multiples autres entreprises tendant toutes à mettre en valeur la culture et le passé historique iraniens.       

Sa vie professionnelle très active ne l’empêche pas de soutenir mon père comme ambassadrice ou épouse de ministre, laissant partout le souvenir d’une femme brillante et exceptionnelle. Ainsi, pendant les quatre années d’ambassade de mes parents à Paris, elle supervise et mène à bien les tâches à compléter afin de procéder à de grands changements dans la représentation iranienne. Une nouvelle chancellerie est achetée, rénovée et meublée dans un hôtel particulier du 4 avenue d’Iéna tandis que l’ancienne ambassade située au 5 rue Fortuny dans le 17ème est désormais consacrée à la seule résidence et entièrement refaite avec un goût et un raffinement qui en font le point de mire des revues d’architecture et de décoration. Le centre culturel s’installe dans le 6ème arrondissement à Paris. Dans le même temps ma mère tient un rôle essentiel de coordination des fêtes du 2500ème anniversaire de l’Iran impérial. Le couple reçoit aussi le tout-Paris intellectuel et mondain. André Fontaine, Paul Vialar, Sylvia Montfort, Raymond Aron ou Edmée de la Rochefoucault sont des habitués, appréciant la conversation autant que le caviar. Ce passage de mes parents a laissé à Paris un souvenir tout à fait unique dans les annales de la diplomatie franco-iranienne.       

Résidence de l'ambassadeur d'Iran à Paris, 5, rue Fortuny, Paris 17e

D’une grande culture, avec une curiosité toujours en éveil, Fatemeh Elizabeth se passionne autant pour les affaires du monde que pour les arts. Ses qualités humaines la mènent aussi vers les autres, non pas en dame du monde se devant d’accomplir des gestes charitables mais avec une profonde conviction de ce que l’on doit aux autres. Ainsi à l’asile psychiatrique d’Amin Abad où elle met en place des réformes draconiennes toutes en faveur des patients, ou lors du terrible tremblement de terre à Qazvin où, grâce aux grands moyens mis à sa disposition par le gouvernement dont fait partie mon père, elle passe des semaines à épauler l’organisation du Lion et Soleil Rouge, d’abord avec les secours, puis avec la reconstruction. S’occuper des laissés-pour-compte demeure pour elle une nécessité impérieuse. A Paris, elle accueille à la table de l’ambassade des personnes âgées et seules au monde qu’elle va chercher chez les petits frères des pauvres. Même la révolution islamique de 1979 et l’exécution de mon père ne lui font pas baisser les bras. Approchée par un mouvement d’opposition afin de gérer l’aide financière et pratique à apporter aux Iraniens exilés à Paris, elle s’y emploie sans lésiner sur son temps ni sur ses forces qui vont diminuant.

       Comme plusieurs membres de la famille, ma mère avait l’écriture dans le sang. Elle écrivait sans cesse, des centaines de lettres à ses proches, des observations sur la vie politique en Iran et ailleurs, des nouvelles, des ébauches de romans, une autobiographie aussi, reprise sans cesse au cours des ans et que je parvins enfin à lui faire achever en 2011. Sous le titre « Lumière de mes yeux» l’ouvrage raconte les premières décennies de cette vie remarquable. Il subsiste des centaines (sinon des milliers) de pages pour la suite, à reprendre peut-être un jour.

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